La partie de la plate-forme continentale du Canada située au sud-est de l'île de Terre-Neuve est dénomée Les Grands Bancs de Terre-Neuve car plusieurs bancs distincts la compose. Les plus importants sont le Grand Banc, le Banc Green et le Banc de Saint-Pierre. Leur superficie est de 282 500 km2 pour une profondeur moyenne de moins de 100 m sans excéder 200 m. L'eau en provenance du courant froid du Labrador s'écoule vers le sud. Ce courant en approchant le Grand Banc se divise en une branche qui se dirige vers le sud longeant la côte de Terre-Neuve, traverse le chenal d'Avalon et atteint le Banc de Saint-Pierre alors que l'eau de l'embranchement principal circule dans le sens horaire et qu'il se concentre autour des limites du Grand Banc. Les eaux chaudes du Gulf Stream se trouvent généralement au sud du Grand Banc, se déplacent au nord à l'occasion, à la limite méridionale des bancs. Des masses d'air chaud en provenance du Gulf Stream se déplacent au-dessus des eaux plus froides du courant du Labrador, créant un épais brouillard, surtout au printemps, lorsque les écarts de température entre l'air et l'eau sont les plus importants. Ces brouillards denses, persistants et tenaces sont une particularité de cette région et ils sont responsables de la perte de nombreux marins et ont ainsi forgé la triste légende des Grands Bancs de Terre Neuve.
Terre-Neuvas
Les terre-neuviers étaient des navires dont l'équipage, les terre-neuvas, se rendait tous les ans au large des côtes de Terre-Neuve afin de pratiquer la pêche à la morue connue sous le nom de "la Grande Pêche". Pendant cinq siècles, cette pêche spécifique fut primordiale pour l'économie de nombreux ports anglais et français mais aussi portugais et espagnols.
Au Sud de Terre-Neuve, à l'endroit où le Gulf Stream et le courant du Labrador se rejoignent, les conditions sont idéales pour la prolifération du plancton et des poissons et en particulier le cabillaud qui est présent en très grand nombre sur les Grands Bancs. La découverte de ces bancs vers 1500 le fut par des pêcheurs basques, bretons et normands. À partir de ce moment-là, les côtes de Terre-Neuve deviennent le lieu incontournable de la pêche à la morue, suscitant de très nombreuses rivalités essentiellement entre pêcheurs français et anglais. Au début du XVIIIe siècle, l'île de Terre-Neuve est définitivement cédée à l'Angleterre (traité d'Utrecht, 1713), mais la France conserve des zones de pêche nommées le French Shore. Ces zones de pêche sont exploitées jusqu'à la fin du XXe siècle, et la Grande Pêche fait embarquer chaque année des milliers de marins, réputés pour être robustes et disciplinés.
La morue était un plat très apprécié au Moyen Âge en raison de sa longue conservation et aussi parce que le nombre de jours maigres excédait considérablement les 40 jours du carême, pour atteindre plus de 150 jours par an. Cette pêche miraculeuse et ce commerce florissant attirèrent les convoitises de la ligue hanséatique dont les bateaux concurrencèrent ceux des basques. La Hanse suivit les mêmes trajets que les basques, ce qui explique le développement des lettres de change et l'invention de la banque moderne. Il était dangereux de transporter sur de longues distances des espèces métalliques en or et en argent en raison du brigandage, ce qui explique que les banquiers italiens notamment génois et florentins établissaient des lettres de change en Italie, payables à Bruges ou dans les autres villes de la Hanse. La morue de ce fait fut appelée « l'or blanc ».
La morue a d'abord été conservée par séchage, aboutissant à des bâtons de morue très durs, à l'origine du stockfisch niçois et du stofficado du Quercy. Puis les pêcheurs qui écoulaient la morue séchée dans les pays du sud, en Espagne et dans toute la Méditerranée, ont découvert le salage de la morue. Ce qui a donné naissance à un commerce florissant : les bateaux chargés de morue séchée et/ou salée la vendaient en Espagne ou en Méditerranée et repartaient lestés avec le sel des marais salants pour une nouvelle saison de pêche.
Les pêcheurs ont coutume de dire que la morue est le cochon de la mer. Il est vrai que ce poisson est, hormis les arêtes et les boyaux, entièrement comestible. Sa chair est savoureuse, tant fraîche que salée. Sa langue et ses joues sont des mets très fins. Sans compter l’huile, tirée de son foie, qui fortifie si bien les enfants…
Jusqu'au début du XXe siècle la majorité de la flotte française de Fécamp à Terre-Neuve est composée de trois-mâts, d'environ 135 pieds de long (45 mètres) sur 30 pieds de large, gréés en goélette. Une trentaine d'hommes y vivent, y travaillent pendant de très longs mois dans des conditions de confort très sommaire. Ils y meurent parfois. La plus grande place disponible est destinée à stocker le poisson, le seul vrai poisson : la morue.
Les hommes logent dans les postes d'équipage à l'avant et l'arrière du navire, dans des réduits mal aérés mal chauffés ou sur des couchettes sur 3 étages à la forme de la coque (les cabanes) où ils prennent quelques repos. Pas d'eau pour se laver, pas de toilettes, pas de table, on mange en majorité du poisson dans l'assiette de fer posée sur les genoux et une fois par semaine du lard. Le tout dans une odeur pestilentielle. Les cabanes, les postes ne sont jamais lavés, les hommes ne se lavent que très sommairement, l'eau douce est trop rare. Les bulots, capelans ou encornets stockés, l'huile de foie de morue et les restes de morue qui traînent, s'ajoutent à l'odeur. Les médecins et l'aumônier qui visitent les navires ont rédigé des rapports épouvantables. Leur visite annuelle est très attendue car ils apportent le courrier qui a transité par Saint Pierre et Miquelon, c'est hélas la seule occasion de nettoyer le navire pour faire bonne impression.
Ces trois-mâts emportent une douzaine de doris d'environ 5 mètres de long sur 1,80 de large et 0,80 de profondeur. (On trouve beaucoup d'approximation dans les mesures des navires de cette époque car construits bien souvent sans plan et tous différents les uns des autres). Chaque doris sur lequel embarquent 2 hommes qui vont mouiller à quelques distances du trois-mâts des lignes munies d'hameçons (les haims) pour pêcher la morue. Chaque matin, une douzaine de doris quittent le voilier pour rejoindre à la rame les bouées qui indiquent l'emplacement des lignes. Les conditions climatiques n'entrent pas en compte. Qu'il neige, pleuve ou vente, les doris partent, seules la brume ou une très forte tempête peuvent arrêter le travail (et encore). Seul moment de repos le 15 août pour la fête de la Vierge et encore pas toute la journée. La remontée des lignes, à main d'homme, dure plusieurs heures (3 kilomètres de ligne pour un doris). Seules les morues (le poisson) et quelques flétans sont embarqués, les autres poissons (le faux poisson) sont rejetés. Les morues sont débarquées sur le voilier où elles sont comptées par le patron, la rémunération de l'équipage du doris est dépendante de la pêche des 2 hommes.
Le travail des matelots (patron compris) continue avec le traitement du poisson : l'habillage de la morue. Les mousses et novices ont à charge de traiter et préparer les morues. Celles-ci sont étêtées, éviscérées, lavées, mises en cale, salées. Les hommes ont un poste bien précis dans la chaîne, ils n'en changent pas durant la campagne de pêche, chaque tâche étant répartie : les « piqueurs » vident, « les décolleurs » coupent la tête et ôtent les tripes, les « trancheurs » fendent la morue en deux et enlèvent l'arête dorsale, enfin en câle les « saleurs » salent et l'empilent dans des tonneaux. Les têtes sont mises de côté pour récupérer les joues et la langue. Le foie est conservé par le gogotier pour extraire l'huile de foie de morue. Le travail ne s'arrête que lorsque le pont est vide de poisson et nettoyé sommairement. Les hommes disposent éventuellement de quelques minutes pour manger. Ensuite les lignes sont boëttées (environ 1 600 hameçons par doris) avec des capelans achetés à St Pierre, des encornets pêchés par l 'équipage ou avec des bulots pêchés tous les 2 ou 3 jours, avec de la viande pourrie. Les équipages de doris repartent en fin de journée pour remettre les lignes à l'eau. Ce n'est qu'ensuite et si tout le poisson a été traité que les hommes peuvent manger et dormir. Les seuls moments de repos sont pris lors des marées de cabanes ou marées de paradis lorsque le temps est si mauvais que le patron garde ses hommes à bord. Des escales interviennent quelquefois pour renouveler le stock de vivres, débarquer un malade ou une partie de la pêche. Ses escales sont réduites au minimum, mais quelle bordée si les matelots peuvent descendre à terre.
Donc jusqu'au début du XXe siècle la pêche à la morue se fait exclusivement en voiliers qui partent six à sept mois au mois de mars pour Terre-Neuve. Toutes les techniques de pêche sont transmises oralement et n'évoluent que très lentement. La manière de préparer le poisson ne change d'ailleurs pas jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle. Au tout début du XXe siècle, les chalutiers à vapeur apparaissent et entrent en concurrence avec les voiliers en 1906-1907 car ils ont un rendement quatre à cinq fois supérieur. Leur efficacité permet de faire trois campagnes de pêche par an, au lieu d'une. Ils sont équipés d'un chalut, un filet de 50 à 60 mètres de long, qui racle le fond de l'océan et remonte un nombre considérable de poisson à chaque passage. En 1935 c'est la fin des voiliers sur les bancs de Terre-Neuve Enfin, dans les années 1960, les chalutiers à vapeur sont remplacés par les bateaux-usines à bord desquels une usine congèle le poisson et le conditionne, remplaçant ainsi une partie de l'équipage.
Mais la réussite des campagnes de pêche va devenir de plus en plus aléatoire. Avec la mise en service des chalutiers puis des bateaux--usines, les bancs de cabillauds sont hélas surexploités. Leur nombre diminue très rapidement. Les changements climatiques provoquent également leur diminution car le rafraîchissement ou le réchauffement des eaux provoquent la fuite des poissons, rendant les campagnes de pêche parfois désastreuses. Ainsi, la pêche à la morue au large de Terre-Neuve est progressivement abandonnée, d'autant plus que la diminution alarmante du nombre de cabillauds provoque la création d'une Zone Économique Exclusive par le Canada en 1970, qui limite les prises de poissons pour les autres pays et finit par aboutir au décret d'un moratoire en 1992, renouvelé en 2004, restreignant encore d'avantage cette pêche, afin de protéger le cabillaud. Malheureusement à ce jour le stock de morue n'arrive toujours pas à se renouveler
La grande pêche sur les grands bancs de Terre-Neuve
LES DORIS
Les premières pêches sur les bancs de Terre Neuve s'effectuèrent d'abord à partir du bord du voilier. Très vite les équipages prennent l'habitude de pêcher à partir de doris qui tous les soirs s'éloignent du bord pour aller, à quelques encablures du trois mâts, mouiller des lignes relevées tous les matins. Ces doris, à l'aspect rustique, inspirés des pirogues indiennes, sont maniés à la rame même si un gréement léger permet d'installer une voile. Ces embarcations à fond plat de 5 mètres sur 1,80 et de 0,80 mètre de profondeur permettent, en enlevant les bancs, de les empiler sur le pont du trois-mâts. Malgré leur petite taille, ces embarcations peuvent contenir 1800 kilos de poisson dans des conditions de stabilité convenable.
Ces embarcations sont si pratiques que les premiers chalutiers les utiliseront comme annexe et elles continueront à être fabriquées, légèrement modifiées pour installer un moteur bien plus tard.
Les gravières : gros cailloux sur lesquels la morue était mise à sécher
Erminie : le dernier voilier de Saint Pierre et Miquelon armé à la grande pêche
La mécanisation : fin de la morue?
1200 pêcheurs sur un seul bateau.