Nouvelles du bord
2014
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26 juillet : Temps calme pour le départ de Nanortalik. Quelques icebergs sont rentrés dans le port au cours de la nuit. Malgré cette invasion nocturne il est possible de les contourner pour rejoindre l'entrée du chenal Prince Christian Sund un étroit chenal de 60 milles de long qui relie la côte ouest à la côte est du Groenland et ainsi évite aux bateaux de passer le Cap Farwell et ses dépressions turbulentes dans des eaux protégées et plus calmes. Par contre ce passage n'est libéré des glaces (qui descendent de la côte est) que vers la fin du mois de juillet. Cette année dès le début du mois de juillet il était possible de l'emprunter. Bien sûr, à notre passage, il y a encore quelques beaux icebergs mais insuffisants pour entraver notre progression malgré un vent violent qui souffle dans l'axe du chenal, souffle la surface de l'eau levant des embruns à ne plus en finir. Il n'y a pas d'autres solutions que de progresser au moteur. Avec ce vent qui souflle à 40 noeuds l'avance est parfois médiocre. Dans certaines zones où le vent est encore plus accéléré par le relief la vitesse ne dépasse pas les 2 ou 3 noeuds, l'étrave plongeant allègrement dans un clapot court et désagréable. A l'arrivée à Aappilattoq le vent est toujours aussi violent. Ce petit village de 150 âmes, au coeur du chenal Prince Christian Sund, dont les maisons de bois colorées ancrées sur la roche cernent une toute petite baie creusée au pied de la montagne, vit de la pêche. La baie dont l'accès se fait par un goulet étroit est bien protégée de presque tous les vents sauf de nord. L'amarrage se fait au tout petit quai au fond de la baie. Peu de bateaux s'y arrêtent habituellement. Lors de notre arrivée 2 bateaux à moteur et 3 voiliers sont déjà amarrés et le vent s'engouffre joyeusement dans la baie car aujourd'hui bien sûr le vent est nord. Plus de place au quai bien évidemment. Il y a là un voilier américain, un suédois et un norvégien. Nous allons nous approcher, discuter avec les équipages de la façon dont nous allons pouvoir nous amarrer car pas du tout envie de repartir pour essayer de trouver un mouillage plus loin, beaucoup trop de vent subi depuis le départ ce matin. Finalement nous nous rapprochons des autres voiliers en marche arrière, mouillons l'ancre, passons des aussières au voilier suédois qui nous amarre à ses taquets pendant que les norvégiens sur leur annexe en prennent une autre qu'ils portent et tournent à une bitte d'amarrage du quai avant que nous reprenions de la chaîne sur le mouillage. Une heure après un autre voilier norvégien montre le bout de l'étrave. Il viendra à couple de Noème et des aussières seront reprises sur les berges pour stabiliser ce bel ensemble. Il est peu probable que les habitants de cette petite communauté aient jamais vu une telle concentration de voiliers.
Les habitants sont finalement assez indifférents à cette agitation nautique. Ils continuent à vaquer à leurs occupations comme si de rien n'était, en particulier se rendre sur leurs petits bateaux pour partir en pêche. Lorsque nous nous croisons ils font un petit signe de la tête et un sourire, la conversation ne s'engage pas, la plupart d'entre-eux ne parlent ni anglais ni danois mais seulement le groenlandais.
Le soir les enfants viennent voir les bateaux s'assoient sur les bords du quai ou vont jouer sur le terre-plein attenant. Une vie bien calme dans un cadre grandiose. Si ce lieu est magnifique pour une escale de quelques jours quant est-il de vivre ici à l'année et plus particulièrement la période hivernale?
28 Juillet : Ikerassassuaq sera la dernière étape au sud du Groenland avant la traversée vers l'Islande. Le brouillard présent le matin sur Aappilattoq s'est dissipé rapidement, le vent est modéré. Avant de rejoindre la station météorologique implantée à Ikerassassuaq et de mouiller ou peut-être accoster au petit quai de la station, la route continue dans le chenal naturel Prince Chistian Sound dans un cadre toujours aussi époustouflant que nous apprécierons d'autant mieux que le vent est léger et pousse tranquillement Noème vers la sortie. A deux reprises nous nous approcherons de glaciers qui se jettent dans des fjords contigus au chenal principal. Le long des versants montagneux les cascades, fruits de la fonte des neiges et des glaces, coulent et rebondissent sur les rochers avant de se jetter dans le chenal. L'approche des glaciers se fait au moteur lentement pour ne pas trop perturber les oiseaux présents et limiter la pollution sonore. De grands fracas sourds se font entendre de loin en loin provenant des glaciers, dus à la dilatation de la glace, au glissement du glacier sur son socle rocheux et à l'accumilation des moraines.
Ne pas s'approcher trop près du front du glacier car il peut vêler à tout moment et les icebergs qui s'en détachent provoquent de petits tsunamis qui peuvent être dangereux pour les voiliers.
Una un voilier norvégien (déjà croisé à SPM et à Nanortalik)) fait la route en notre compagnie. On se sent tout de suite un peu moins seul.
En arrivant à la station météorologique il faut se rendre à l'évidence : la petite baie et encore plus le petit quai sont totalement innaccessibles. Deux énormes icebergs se sont échoués et en bloquent l'accès. Il y a bien une autre petite baie à proximité immédiate mais le vent s'est levé et commence à souffler de manière plus dynamique que dans la journée. Or cette petite baie est encaissée au pied de hautes montagnes et il est à craindre que des vents catabatiques vont souffler sur le mouillage. L'autre solution serait de quitter le Groenland maintenant et de faire route vers l'Islande mais sur la route le vent va souffler 35/40 noeuds pendant quelques heures. Finalement nous mouillons l'ancre et décidons de partir au lever du jour, de toute façon dans les environs immédiats il n'y a pas d'autre mouillage. Una le voilier norvégien nous rejoint et mouille son ancre à quelques encablures. Vers 23 heures le vent, de plus en plus fort avec de violentes rafales, commence à balayer le mouillage. Les deux voiliers s'agitent en tout sens au bout de leur chaîne. A deux heures du matin l'équipage de Una en a assez et lève l'ancre pour sortir du mouillage et gagner la haute mer.
29 juillet : Nous tenons bon jusqu'à 5 heures du matin mais impossible de dormir tellement le bateau bouge malmené par les rafales. L'ancre est relevée avec difficulté car elle a bien croché dans le fond de vase de très bonne tenue. Il y avait peu de chance que l'ancre décroche malgré des rafales à plus de 40 noeuds. Une fois sorti de l'abri Noème et mis bout au vent pour gréer le tourmentin tranquillement dans un clapot somme toute raisonnable. Sous le soleil naissant et entre les icebergs Noème quitte le Groenland à plus de 8 noeuds sous tourmentin. Etonnament les icebergs ne sont présents que sur une bande côtière d'une vingtaine de milles. Au bout de quelques heures le vent décroît la mer s'apaise et tout devient plus confortable.
La côte du Groenland séloigne dans un ciel embrasé. Les sommets montagneux enneigés, les icebergs éclairés par un soleil rougeoyant nous offrent un dernier et magnifique spectacle.
Prochaine destination Reykjavik en Islande à 650 milles. A priori temps calme prévu sauf qu'une dépression est prévue au sud mais elle ne devrait pas trop remonter sur l'Islande.
Peu, très peu de vent pendant 4 jours. Le moteur a l'occasion de ronronner longuement au cours de cette traversée. Les icebergs vite disparus et le vent absent, la vigilance et l'attention se relâchent. La veille est plus détendue. La mer ici est vide de bateaux de pêche ou de commerce. Au milieu du trajet quelques dauphins viendront jouer devant l'étrave un bref instant, ce sera la seule rencontre en dehors de rares fulmars arctiques présents dans le sillage de Noème.
Une nébulosité importante voile le soleil et cache la lune, parfois un peu de bruine mouille le pont. Si le temps est gris la mer est belle. Progression lente vers l'Islande. Deux fois par jour les fichiers Grib récupérés sur le logiciel de navigation via l'Iridium sont scrupuleusement scrutés et analysés. Dans cette mer oubliée il est à craindre que le temps maniable ne le reste pas longtemps. La confiance dans les fichiers Grib doit être limitée et critique, il s'agit certes d'une bonne aide à la navigation mais elle se doit d'être complétée par l'analyse du baromètre et des conditions climatiques observées localement. Si sur la route des alizés les fichiers Grib ont peu de chance d'être pris en défaut, ici dans ces régions à la lisière de l'arctique l'évolution météorologique est plus aléatoire et les Grib se révéler rapidement erronés même à moins de 24/36 heures. La dépression qui se dessine sur les fichiers GRIB va se creuser beaucoup plus que ce qui était annoncé et elle va remonter sur le sud de l'Islande.
Arrivée à Reykjavik le 2 août à 23 heures soit 3 heures seulement avant que le vent ne se mette à souffler férocement à 45 noeuds. Le voilier norvégien Una parti quelques heures avant nous et qui se dirigeait lui vers les îles Wesmanna donc plus au sud, et de plus plus lent que nous, fut obligé de changer de route et de se réfugier à Grindavik un port de pêche situé sur la côte sud car, nous raconta-t-il plus tard en le croisant aux îles Wesmanna, pour la première fois depuis son départ de Stavanger les vagues partaient à l'assaut de son cockpit et chahutaient violemment le voilier au point que son équipier eu la peur de sa vie. Il regrettait aussi de n'être pas remonté sur Reyjavik car il n'avait pas cru que la dépression se creuserait autant alors qu'il l'avait bien vu remonter plus nord que ce qui était attendu.
Accueil chaleureux au ponton du Reykjavik Sailing Club-Brokey. Les voiliers suédois et norvégien en compagnie desquels nous étions à Aappilatoq sont arrivés quasiment en même temps que nous bien que partis 24 heures plus tôt. Il y a aussi 3 autres voiliers au ponton : un canadien et deux polonais. Peu de voiliers s'aventurent jusqu'ici, moins d'une centaine par an.
L'équipage du voilier canadien a déjà appelé les autorités pour les formalités d'usage. Ici ce n'est plus le Groenland : de multiples exemplaires de documents à remplir, des questions fort surpprenantes posées par les douaniers : combien de litres de lait à bord, quelle quantité d'oeufs? Mais toujours avec le sourire même au moment de déclarer le fusil. Finalement ils partirent avec pour nous le ramener le lendemain et apposer des scellés sur la housse avec obligation de le montrer au moment de quitter le pays au dernier douanier que nous verrions. Tout ça pour être sûr que nous repartirions bien avec.